Interview de Paul Nazca : « La musique a une trop grande importance pour moi, je ne peux la trahir. C’est une des rares choses dans ma vie qui ne m’a jamais déçu… »

Après Anja Schneider et Charlotte BendiksPaul Nazca a joué le jeu de l’interview pour notre plus grand plaisir. En attendant sa venue au Club Cabaret lors du festival Jack In The Box et afin de vous le faire connaitre plus en détail nous lui avons posé quelques questions. Voilà un article qui saura ravir ceux qui le découvre & les amateurs de musique électronique voir même les professionnels.

Paul, tu as découvert le line-up ? Est-ce que tu seras aussi dans le public pour voir un des artistes programmé ? Et si oui, qui ?

Paul Nazca : Oui bien sûr ! En général je suis curieux de ce qui se passe pendant une soirée. J’aime aussi prendre la température pour voir ce que je vais jouer car je n’ai jamais rien de prévu à l’avance sauf une petite sélection qui peut vite être modifiée suivant mon ressenti avant et pendant la soirée.

Boîte de nuit / Tu as eu la chance de participer aux free des plus connues dans le sud, les Dragons Balls, quelle est la différence pour toi entre mixer en extérieur dans ce cadre et mixer dans un club ?

Il y a eu des DB en intérieur aussi ! L’extérieur est souvent plus intéressant dû a une sensation de liberté, bien plus que dans un club. Mais le fait d’être confiné dans un club peut aussi apporter quelque chose de plus électrique, la sauce peut prendre plus rapidement. Dans le sud, nous avons la chance de pouvoir switcher en club l’hiver et extérieur l’été donc de s’adapter et profiter de ces deux configurations.

Comment expliquerais-tu l’effervescence de la musique électronique dans le sud de la France avant le reste fin 90/2000 ?

Il y a beaucoup de facteurs qui ont fait que cette musique s’est développée dans notre région. Dans les années 90, du a une grosse répression en Angleterre, le mouvement free a débarqué dans le sud. Une multitude de soirées ont vu le jour et un certain public s’est forgé à ce mouvement.
Un autre mouvement plus house techno était également présent mais cette vague a pour moi, contribué à l’expansion et la propagation de multiples soirées.

En France, la répression n’était pas encore là, du coup les soirées en extérieur dans un esprit free étaient programmées chaque weekend dans des lieux magiques. Mais très vite les choses ont changé avec l’arrivée d’interdictions en tout genre. Le mouvement a donc dû petit à petit s’orienter en club et des lieux mythiques ont commencé à voir le jour.

 

J’ai un souvenir avec un live de Virtualian justement qui jouait dans un club vers Vitrolles : vers la fin, son Atari ne suivait plus niveau séquences du coup il l’a carrément dégagé une fois son set fini !!! Un esprit un peu punk je l’avoue, mais qui m’a marqué dans le bon sens.

 

Le côté artistique a également beaucoup joué dans cette évolution, une grande quantité d’artistes était déjà présente. Que ce soit en djs, lives ou producteurs confirmés, un noyau fort contribuait au développement de cette musique. Je pourrais citer Paul, Jack de Marseille, David Carretta, Virtualian, Thrust records, Sound System, les Pinguins, Happy people at work et bien d’autres !

 

Boîte à outils / Tu travailles à 80 % en analogique, on imagine déjà que ton studio est énorme et qu’il est traversé de part en part par des câbles (si on peut abuser et avoir une photo ? ;))
Avec quelles machines travailles-tu le plus régulièrement ?

 

Nazca studio Arles Marseille Club Cabaret
Studio professionel de Paul Nazca

Ahah !!! En effet, depuis 1995 j’entasse de vieux modèles en tout genre. A l’époque, ce n’était vraiment pas évident de comprendre le cheminement d’une production. Il n’y avait pas internet et les gens qui se trouvaient là étaient plutôt fermés. A force de fouiner sur des magazines de sono et entre autres CODA Magazine (bien avant Trax) j’ai pu petit à petit apprendre et comprendre le midi avec l’audio. En effet, il y avait une rubrique « home studio » qui permettait de connaître les configurations de certains artistes déjà bien en place.

Premier EP du Label de Paul Nazca

Grace à ça j’ai pu synchroniser une Tb 303 avec une Tr 909 et contrôler un Juno 106 avec Cubase lite installé sur un Atari mega 1.

Par la suite, en soirée, j’ai rencontré André « Ultracolor » à l’époque qui tournait déjà beaucoup en live et qui m’a repéré à cause de mon intéressement tout particulier au hardware. Plus tard, il me proposa de l’accompagner lors d’une soirée et c’est là que j’ai vraiment compris le pourquoi du comment en étant derrière la scène. Trois ans plus tard notre projet de label « Scandium records » voyait le jour avec mon tout premier EP en 2000.

Depuis, je continue à chercher des synthés, bar, fx, etc… mais à force je risque de ne plus pouvoir rentrer chez moi !
C’est une passion et c’est vrai que j’ai toujours du mal à travailler sur software. Je suis habitué au touché propre à la machine. C’est un instrument à part entière !

 

Une souris et un contrôleur c’est bien, mais ça ne me fera jamais autant vibrer qu’un synthé hyper instable, qui commence à réellement sonner au bout d’une heure de chauffe !

 

Je n’ai pas de préférence car lorsque que je recherche un son je sais à peu près lequel pourra faire son effet, du coup je l’enlève de son stand pour le raccorder au patch de mon studio et enregistrer ce son que je veux. Mais si je dois parler d’une machine… Humm.. Difficile mais je vais remettre le Sh 101 en première place ! Si classique, mais on peut tellement faire de chose avec…

 

Compil House music
Compilation qui a provoqué la révélation à Paul Nazca

Boombox / On lit souvent dans tes interviews que le déclencheur fut une cassette qui s’appelait 100% house, on profite que tu sois chez toi derrière un écran à nous répondre pour te demander si tu l’as encore sous la main tel un trophée ? Tu te souviens des artistes ou des morceaux qu’elle contenait ?

C’est vrai. C’était en 1988. Je l’ai toujours en cassette et vinyle. L’un de mes frères plus âgé la faisait tourner en boucle dans sa voiture. Ma mère avait un tourne disque avec du Stevie Wonder, Mickael Jackson, Gold, Kraftwerk qui passaient. J’avais donc une certaine oreille mais mes connaissances étaient vraiment limitées.

J’ai eu la sensation de découvrir un son, une ambiance sonore que je n’avais jamais eu l’occasion d’entendre auparavant.

Après cet électrochoc, je lui ai donc demandé de m’amener dans des magasins où je pourrais trouver des cassettes de ce genre !
Sur cette fameuse cassette il y avait Flim Flam, S Express, Mr Lee, Amnesia avec le fameux Loco Ibiza. A cette époque je n’avais pas encore conscience de tout ce qui était en train de se passer avec l’arrivée de la house de Chicago, le Garage et quelques temps plus tard la Trance allemande, le Hardcore, la Techno de Détroit..

Trois ans plus tard j’étais noyé sous tout ça, mais ce qui m’a vraiment marqué c’est la trance venant d’Allemagne avec Marc Houle ou Sven Vath. Puis la techno avec Laurent Garnier et le côté Detroit avec Kevin Saunderson. C’est en 1993 que j’ai acheté mes premières Mk2 et que je me suis forgé en mixant tous ces styles.

 

Boite à souvenir / Ta track ultra playlistée c’est « Memory », encore jouée au Sonar cette année par Laurent Garnier… comment Paul Nazca construit un tube ? Pendant que tu le produisais, est ce que tu sentais que cette track allait faire la différence ?

Si je construis des tubes !? pas du tout. La composition, la création d’une musique est pour moi une thérapie. C’est une échappatoire dans la vie de tous les jours.

Je ne suis pas de ceux qui arrivent en studio et ont déjà un schéma tout fait pour créer un tube ou quelque chose qui va plaire à tel public, à tel moment. Comme je dis très souvent, c’est quelque chose qui me traverse. Parfois, quand je réécoute une track je me dis :

« Tiens, mais comment t’as fait ça ou alors : C’est toi qui l’a fait ! » Je ne saurais expliquer ce process… La musique m’aide à sortir des choses en moi que je n’ai pas su extérioriser autrement.

Si je devais faire de la musique pour que ça marche, je m’orienterai sur autre chose. La musique a une trop grande importance pour moi, je ne peux la trahir. C’est une des rares choses dans ma vie qui ne m’a jamais déçu…

Pour anecdote, lorsque j’ai terminé « Memory », je l’ai trouvé bien mais sans plus… Par contre je me suis dit que ça allait sûrement plaire à Laurent Garnier. Du coup je lui ai envoyé. J’ai eu plein d’éloges, ce qui m’a fait plaisir. Quelques mois plus tard, on s’est revu et il me demande si c’était bien sorti depuis. Lorsque je lui ai dit que non, que je n’ai eu que des rebonds de mes précédents envois, sa réaction a été de dire que ce n’était pas possible et qu’on allait vite régler ça… C’est à partir de là que j’ai compris que ce morceau avait un réel potentiel.

J’avais envoyé ma démo chez Cocoon Records car j’ai souvent des retours négatifs de leurs part, (mais ce sont des retours quand même). Ce fut un rejet de plus mais lors de sa sortie on s’est aperçu qu’il le jouait à chaque fin de set et il l’a même compilé fin 2017 sur Cocoon « Sven Vath annual Cocoon Ibiza compilation 2017 ».

C’est là où on voit que les démos passent souvent à la trappe… Mais c’est aussi grâce à cette track que j’ai relancé mon label Scandium avec P4sc4l. Depuis nous enchaînons les sorties vinyles et digitales ce qui n’était pas arrivé depuis 2009 !

Enfermé dans la boîte / On a découvert le projet dans lequel tu évolues : Skyptom collective. Est-ce que tu peux nous en parler ? Comment s’est passé la soirée au Cargo ? On a accueilli Moteka en résidence lorsqu’il préparait son nouveau live en mars, est-ce que tu connais son travail ? Qu’en penses-tu ?

La Skryptom collective était une nouvelle expérience assez unique pour nous tous. Se retrouver à plus de dix artistes, enfermés pendant une semaine, dispatchés dans cinq studios c’est pas souvent que ça arrive ! Je pense que c’est parti d’un délire qu’on se fait depuis quatre ans chez P4sc4l avec Maxime, Nhar et d’autres.

Le concept est de mener quatre, cinq machines et de les brancher en synchro avec tout le reste du groupe. On se fait ça sur deux jours et on enregistre sur l’instant des séquences de plusieurs minutes voire de plusieurs heures.

Maxime avait émis l’idée de louer une villa et de se regrouper tous ensemble pour faire du son, je pense que c’est réellement parti de lorsque Antoine (Electric Rescue) a proposé de faire ça avec la Skryptom team.

En tout cas un grand bravo à Antoine car il fallait le mener jusqu’au bout ce projet… Il nous a tenu au courant de son évolution avec de multiples possibilités de lieu. Le Cargo (Caen) a été le premier lieu pour cette résidence. Un lieu excellent au niveau des conditions de travail, accueil, staff, etc… Nous avons créé des groupes de travail car il fallait un minimum de structuration pour optimiser au maximum notre temps sur place. J’avais le projet de faire un live machine sans ordi avec Scan’x. Nous avons fait une sélection de track ensemble, agencé et répété le live pendant deux jours. Les deux autres jours nous avons fait un trio avec Scan’x donc ainsi que Kmyle.

Trois track sont sortis de cette session, elles devraient se retrouver sur un projet d’Ep ou d’album en rapport avec cette Skryptom collective. A ce niveau là, c’est Antoine qui va décider. Il y avait Pierre (Moteka), oui mais avec d’autres groupes de travail, du coup nous n’avons pu bosser ensemble. Par contre son approche est super intéressante ! Lui aussi est bien mordu de machines et prises live ! Humainement c’est aussi une très bonne personne comme le reste de l’équipe d’ailleurs. Je pense que pour tous cela restera un souvenir et une expérience unique autant dans le partage de la musique mais aussi humainement. Ce projet devrait être reconduit très prochainement, affaire à suivre…