À l’occasion de sa venue au Cabaret Aléatoire ce vendredi 1er avril, dans le cadre du Club Cabaret organisé avec Le Festival Le Bon Air, nous avons posé quelques questions à Vanda Forte.
Salut Vanda Forte, pourrais-tu nous parler de ton projet artistique ?
Vanda Forte est un pseudonyme qui est né dans le contexte des jeux de rôles. C’était le nom de mon personnage, mi-humaine, mi-elfe, avec un arc en guise d’arme. Quand j’ai voulu créer mon blase en tant que DJ j’ai gardé Vanda Forte en pensant à ce côté mi-fleur (vanda) mi-rebelle (forte), vacillant entre l’ordre et le chaos, le calme et la tempête.
Mon envie de créer ce projet est parti d’un fait malencontreux : on m’avait volé mon laptop avec des prods que je voulais bien évidemment finir un jour et je venais de sortir d’une relation toxique et éprouvante. J’étais dans le mal et pendant un moment je me suis éloignée de la musique et du monde des musiques électronique plus précisément. Cette coupure m’a surtout éloignée.x de la prod sur DAW mais j’avais bien l’intention de garder quand même un lien avec ma passion, au-delà des cours en musicologie. Le fait d’être DJ m’a permis clairement de garder ce lien et de perfectionner mon oreille (qui n’est plus aussi aiguisée dernièrement, la musique s’écoute de plus en plus fort !). Mais même en m’étant éloignée.x de la prod, j’ai gardé tout de même une optique de productrice.x quand je suis sur les platines. Pour moi les questions de synchronicité ne se posent pas, je joue la plupart du temps en async, en variant les bpm d’une track à l’autre.
Mon travail peut parfois consister à juxtaposer des textures entre elles, et non des rythmiques. J’essaye de faire des sets qui ressemblent à des patchworks : plusieurs bouts de tout plein de choses, et surtout, de moi-même. Ce n’est pas toujours facile, mais à chaque performance je me fais un plaisir de partager ce moment intimiste avec le public.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire partie des cultures électroniques ? Et comment se sont passé tes premiers pas dans cet univers ?
Mes premières expériences avec les musiques électroniques ont commencé avec mon père qui est un grand amoureux de la trance et de la house. Mais dans la pratique musicale, je viens à la base du milieu acoustique. Je chante depuis mes 5 ans et j’ai composé mes premiers morceaux en m’accompagnant de ma guitare ou de mon piano. J’ai fait partie de quelques formations live band en tant que chanteuse et pianiste (rock, jazz, alternatif) puis j’ai commencé à mixer en 2016 après avoir fait mes premiers festivals de musiques électroniques. Eblouie.x par le set de Mad Miran à Marrakech, l’été 2018, je décide d’aller plus loin. J’arrive la même année en France où je découvre le monde de la teuf, des free party, de la rave campagnarde, et vite je tombe amoureuse de ce style de rassemblements. Ça a amplifié mon envie de connaître mieux le milieu, donc j’ai beaucoup observé ce qui se faisait autour de moi.
Mon premier gig en tant que DJ j’avais juste hâte de jouer mon set et depuis, cette sensation m’accompagne à chaque fois avant de monter sur scène. Je stresse toujours avant, mais une fois dedans je suis très à l’aise.
Mes premiers pas c’était en teufs puis quelques petits events dans des ateliers/galeries. Ensuite Simon (aka Shlagga du Métaphore collectif) me repère lorsque je joue à un event dans Marseille l’été 2020. Il a été touché par mon univers et m’a invitée.x à jouer aux soirées Méta Zone Libre (une date mémorable pour moi). A partir de là, il me semble que je ne pouvais plus m’arrêter et je pense que j’ai encore beaucoup de choses à exprimer en tant que Vanda Forte.
Comment décrirais-tu ta musique à quelqu’un qui ne te connaît pas ?
Je dirai tout simplement que je n’aime pas trop les étiquettes et je fais de mon mieux pour pas m’en faire coller une ; surtout au niveau des styles que je joue. C’est à la fois hybride et épuré, accessible par moment et assez complexe à d’autres.
Mon objectif des fois c’est de jouer le maximum de genres musicaux dans un même set et aussi de montrer qu’on peut déconstruire les codes stylistiques du club en apportant de nouvelles sonorités et en appréciant parfois le silence ou l’absence de rythmiques.
Quels artistes t’ont inspiré au fil de ton parcours ?
C’est difficile de citer tous les artistes qui m’ont inspiré dans mon parcours, j’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs vies et d’avoir grandi et créé dans plusieurs styles. J’écoute vraiment TOUT. Mais entre nous, je reste une grande.x fan de Portishead et de Morcheeba. Mon style musical de cœur c’est la trip-hop. D’où mon amour pour le breakbeat, la UK bass, le 2step,…mais je vais plutôt répondre à cette question en énumérant 5 artistes qui m’inspirent aujourd’hui dans ce que je fais en tant que Vanda Forte : AYA (la douceur dans le mélodique, le chaos dans la rythmique), 3-Saggila (fan de son côté énervé et la quali de son sound design), A. Fruit (qui est pour moi une leader dans les nouveaux sous-genres de la drum’n’Bass), RUI HO (dont l’univers allie simplicité et atypisme) et UNIIQU3 (pour sa pêche et son énergie infinie qu’on ressent tout de suite dans ses prods).
Peux-tu nous parler de ton processus de création et notamment de l’importance des démarches expérimentales pour toi ?
Je n’ai aucun processus de création. Rien de ce que je fais n’est fixe ou prédéfini. Une fois j’ouvre le logiciel de production et j’allume mes machines, je n’ai aucune idée d’où je vais, et ça m’arrange ! Le plus important pour moi c’est le moment présent et comment je me débrouille avec ce que j’ai pour créer quelque chose que j’aurai envie de partager par la suite. C’est pour ça que je préconise les démarches expérimentales !
Ces dernières sont pour moi une sorte de journal intime musical qui peut traduire la psychologie, l’état d’âme, lors de la création. C’est une manière de créer qui peut améliorer notre technique et entraîner nos oreilles. En expérimentant tout plein de choses et en évitant de se limiter par les tonalités (pour régler des questions de consonances), les bpm, les mesures, les quantifications…on peut réussir à rendre la musique intemporelle et amorphe.
Une track capte vite mon attention quand je me pose ces deux questions : “Mais où va cette track? Et d’ailleurs, comment elle a commencé ? ». J’aime bien me sentir perdue en tant qu’auditrice.x et parfois mon but est de faire ressentir la même dans les musiques que je compose.
Quelques mots sur ton duo Caïn و Muchi ?
Caïn و Muchi c’est un peu le projet que j’ai toujours rêvé d’avoir. J’ai monté ce projet en 2020 à l’aube du premier confinement avec Sinclair Ringenbach que j’ai rencontré en Master Acoustique et Musicologie en 2018, et avec qui on avait déjà pas mal de projets universitaires en commun. On a commencé à distance car j’étais bloquée.x au Maroc pendant le premier confinement, puis on s’est mis à la production à quatre mains dès mon retour.
Dans ce projet je chante et j’écris les textes aussi, honorant une grande partie de mon parcours artistique et mon vécu au Maroc, tout en me détachant de cette image de la “chanteuse-diva” liée à un système traditionnel et patriarcale où la femme chante/danse et l’homme joue d’un instrument.
Pour Caïn و Muchi j’essaye au maximum de m’éloigner de ces représentations. Et dans ce projet, tout se mélange et tout se crée dans une atmosphère où les limites ne sont jamais désignées d’avance, voire pas du tout.
Tu as une formation en musicologie, peux-tu nous dire comment ta musique a évolué pendant tes études ?
La formation en musicologie m’a ouvert les yeux sur des questions philosophiques et épistémologiques dans la musique. Ca me permet de penser au-delà du son, des fréquences : ce qu’ils dégagent, quelles informations peuvent-ils dissimuler, comment peut-on les percevoir dans différents lieux et différents contextes…
C’est pour cela qu’aujourd’hui j’ose faire des associations que je ne m’aurai jamais imaginé faire avant. La musique est un champ sans limites, en particulier quand il s’agit d’expérimentations, et le fait de la cadrer peut engendrer le cercle vicieux du pastiche (comme dans les genres musicaux populaires, dont quelques-uns appartenant aux musiques électroniques). Mais ça m’a aussi aidé à comprendre le rôle des musiques répétitives ; où porter mon attention lorsque j’en écoute ou j’en crée. L’idée n’est pas de créer des musiques qui ne se ressemblent pas (sinon les DJ c’est mort, pour une partie en tout cas haha) mais de faire coexister l’ordre et le chaos, la répétition et l’aléatoire.
Les questions d’identité, d’appartenance ou encore de racisme sont particulièrement importantes pour toi, comment traduis-tu ça dans ta musique ?
J’ai plusieurs combats personnels dont certains que j’essaye de traduire dans ma musique. Tout d’abord la question de l’identité culturelle qui pour moi devrait être plurielle. Je suis marocaine et je pense avoir une culture très variée et parfois même je me sens très différente culturellement de mes proches. D’où le fait de véhiculer une identité tantôt a-culturelle tantôt multi-culturelle, demeurant ainsi dans l’esthétique moitié-moitié de ce que peut être Vanda Forte. Dans cette optique, je joue beaucoup de musiques issues de cultures afro-américaines, arabes, amazighs, kurdes…
Dans un autre combat, la question de la parité et de l’inclusivité dans mes tracklists me ronge beaucoup car malheureusement la majorité des artistes que je joue par exemple en club sont des artistes hommes, et cis-genres la plupart du temps. D’un côté je me dis je joue ce que j’aime en terme musical, mais d’un autre, je tend toujours à vouloir promouvoir de manière équitable les artistes autour de moi. Des fois j’y arrive et des fois pas, mais j’aime toujours relever le défi !
Tu es arrivée.x en France en 2018 pour tes études, avant tu étais au Maroc, peux-tu nous raconter comment ton rapport avec le public a évolué depuis ? Et aujourd’hui, quelle est la part du Maroc dans ta musique ?
Au Maroc j’étais exclusivement chanteuse, auteure et compositrice pour le public. Je me proclamais femme cis et j’avais ce rapport de la femme cis chanteuse avec le public. Je me suis prêtée.x au jeu par moments, et aujourd’hui, tout ce que je souhaite, c’est de m’en détacher radicalement.
Ne pas être vue.x comme une femme juste parce que je possède un vagin, et encore moins une femme qui est là pour animer, pour danser, pour distraire, pour “faire la belle”… j’ai tellement fui ces représentations que je ne les accepte plus du tout.
La part du Maroc dans ma musique aujourd’hui c’est l’histoire que je porte, les transformations et les transitions par lesquelles je suis passée.x, tout ça grâce à mon vécu dans ce pays et sa culture. Mais je me sens plus arabe et africaine que juste Marocaine. J’aimerais idéalement devenir un support de diffusion des musiques de minorités et de racisé.es.x.
Comment s’est passé ta rencontre avec Bi:Pole et ton arrivée chez eux ?
J’ai rencontré d’abord Sidonie, qui est aujourd’hui ma bookeuse, dans un cadre amical lorsqu’elle bossait encore dans la production. Puis j’ai rencontré petit à petit tous les autres bookeurs chez Bi:Pole ; en festivals, en soirées. Les choses se sont faites très naturellement quand Sidonie a décidé de se lancer dans le booking. C’est une personne très ambitieuse, qui aime son travail et je ne me vois pas faire ça avec quelqu’un d’autre qu’elle. J’arrive donc chez Bi:Pole en mois de mars après quelques discussions en février.
C’est une nouvelle aventure pour moi. Ça reste quand même la première fois que je rejoins une agence de booking. J’ai hâte de voir la suite !
Tu joues au Cabaret Aléatoire ce samedi, comment te sens-tu avant cette date ?
Je suis super contente.x de partager la line-up encore une fois avec ma sista Mystique dont je respecte beaucoup le travail et l’esthétique. Et bien sûr très excitée.x de passer juste après le boss Bambounou. Je pense qu’elle va être incroyable cette date !
Et pour finir, la track dont tu es le.a +fière? Et la track que t’aurais voulu écrire ?
Je suis fière.x de la track sortie sous Caïn Muchi sur DuCoeur Records “I Hope u rot in hell and your dog is watching”, je pense que ça transmet exactement l’esthétique dualiste derrière la compil (la fin du monde/le nouveau monde). C’est un peu plus compliqué quand je prod toute.x seule.x. Déjà que je n’ai pas encore regagné toute la confiance dont j’ai besoin pour mettre en exergue mes talents de productrice.x. La plupart du temps je ne réécoute plus ma track au moment où j’ai décidé qu’elle est finie. Ca a trop d’informations pour moi, de comment j’étais lorsque je l’ai produite et je sais que je manquais de confiance donc j’ai un peu honte de revenir la-dessus. Mais bon si je devais en choisir une ça serait “I don’t cum usually this way” sortie sur Attraction corp records, où je m’aventure à mélanger entre des techniques de mixage de la UK tech et des percussions orientales dans une atmosphère mélodique sombre.
La track que j’aurai voulu écrire/composer c’est “Kitchen Sink” de Amon Tobin. Sans parler de la qualité du sound design, l’esthétique de créer des tracks à partir de bruitages est vraiment intéressante. J’avais eu l’impression que ça s’inspirait de la démarche de Steve Reich pour “City Life”. Et d’ailleurs tout l’album “The Foley Room” de Amon Tobin j’aurai voulu l’écrire ! Il existe entre autres un remix de Noisia pour “Kitchen Sink” qui est aussi remarquable que l’originale. A découvrir now si on connait pas !
RETROUVEZ VANDA FORTE AU CABARET ALÉATOIRE CE VENDREDI 1er AVRIL :
Le Bon Air Club X Club Cabaret : Bambounou + Vanda Forte + Mystique