Prendre les rythmiques les plus racées de la UK bass. Laisser infuser dans un épais bouillon techno Berghain. Envelopper le tout de belles nappes ambient aérées. Voilà la recette avec laquelle Sam Barker et Andreas Baumecker ont sorti sans pression l’un des meilleurs albums de l’année 2016 en Novembre dernier. Un mois plus tard, pour la première Ostgut Ton Nacht marseillaise mise sur pieds avec le Laboratoire des Possibles, les deux berlinois jouaient au Cabaret une performance hybride entre live et DJ set. On s’est assis avec eux pour en discuter, parmi d’autres sujets : comment ils se sont lassés de leur (ex) profession de booker, la construction d’un line-up au légendaire Berghain/Panorama Bar ou encore l’aspect émotionnel qui leur manque dans la dance music d’aujourd’hui.
Ilustration Lee Wagstaff ©
Propos recueillis par Paul Herincx
Sam, comment Andreas t’avais parlé du Cabaret Aléatoire, lui qui y a joué il y a quelques mois ?
S : Il a dit qu’il y avait un bon public, vraiment ouvert d’esprit, parce qu’il avait joué plein de choses différentes et que tout le monde l’avait suivi. Il m’a aussi dit qu’il y avait des promoteurs très sympas (Laboratoire des Possibles). Tout était vrai.
Qu’est-ce que vous connaissez de la scène musicale Marseillaise ?
S : J’ai entendu dire qu’il y avait une bonne scène slo-mo, genre avec des trucs house qui tournent autour de 100 bpm. Mon colloc est vraiment dans ce délire, il joue tout le temps ce type de house marécageuse super lente. Et il m’a dit qu’il y avait quelques labels spécialisés dans ce genre de son à Marseille.
Tu as des exemples ?
S : Non ! J’aimerais en avoir.
A : Je sais qu’il y a aussi un DJ très célèbre qui vient d’ici … Enfin je crois. Sinon, quand j’étais à Hong Kong j’ai rencontré des organisateurs de soirées qui venaient de Marseille. Mais je connais pas grand chose de la ville, Harold (Abstraxion) est la seule personne que je connaisse vraiment. C’est Massimiliano Pagliara qui m’en a parlé pour la première fois il y a un an.
Sinon, à côté de vos activités artistiques vous travaillez tous les deux comme bookers.
A : Plus maintenant.
S : Moi je suis sur le point d’arrêter.
Dans ce métier, quelles étaient vos intentions et avec quelles contraintes deviez-vous composer ?
A : Tu veux toujours amener de la nouvelle musique dans un club, de la musique que tu apprécies. Mais tu dois aussi tenir compte du public et du club pour lequel tu travailles, le booking doit leur convenir. Tu passes un deal avec toi même en quelque sorte.
« Il est important d’avoir des espèces de “héros” dans un club, mais souvent ces héros ont un peu perdu la main » A. Baumecker
En tout cas, je pense qu’il est toujours important de regarder vers le futur, et pas trop dans le passé. Bien sûr qu’il est important d’avoir des espèces de “héros” dans un club, mais souvent ces héros ont fait des choses qui étaient fraiches et nouvelles dans le passé et ils ont un peu perdu la main. Je préfère trouver de nouvelles personnes qui ont toujours cette espèce de fraîcheur, et qui sont plus passionnés. C’est ce que je cherchais en tant que booker.
Tu travaillais pour le Panorama Bar, qui reste souvent ouvert tout le week-end sans interruption. Du coup je me demandais si tu imaginais différemment le line-up pour le jour et la nuit ?
A : Je faisais attention à l’ordre des DJs évidemment. Mais parfois le line-up idéal n’arrive tout simplement pas parce que les artistes arrivent ou doivent voler vers d’autres villes. Mais bien sûr que tu y réfléchis … Surtout au Berghain, le public et l’affluence diffèrent selon les horaires. Tu es obligé de faire attention à ça, le dimanche après-midi tu vas booker des gens qui pourront créer des vibes plus psychédéliques par exemple. En fait, chaque week-end tu en reviens presque à imaginer un petit festival. Et ça m’a beaucoup fatigué ces huit dernières années, c’est ce pourquoi j’ai arrêté.
« Les agences demandent toujours plus d’une année sur l’autre, ce n’est même plus amusant de booker certains DJs » A. Baumecker
Au niveau des contraintes … Ça devient de plus en plus dur de faire venir des artistes à cause des agences qui deviennent de plus en plus folles, elles demandent toujours plus d’une année sur l’autre. Ce n’est même plus amusant de booker certains DJs. C’était aussi très fatiguant de se battre avec les agences, j’en ai eu marre.
Dans un récent entretien avec RBMA vous dites que de nos jours, le versant émotionnel a tendance à manquer dans la musique de club. Quelles genres d’émotions vous cherchiez à transcrire dans votre album ?
S : On n’a jamais commencé une track avec un plan du genre “faisons passer telle ou telle émotion”. On s’installe dans une phase mentale ou l’on ne pense pas trop, où l’on construit des choses, et ensuite on prend du recul. On réfléchit et on se dit : “OK, là ça commence à partir dans cette direction …” J’ai l’impression que le travail en studio dépend surtout du bon vouloir des machines, des choses que l’on utilise, et si là où elles veulent aller est bien là où l’on veut aller avec elles.
A : Tu peux complètement changer une track avec un accord.
S : Rien qu’en changeant une note sur un accord tu te retrouves avec des émotions différentes. En fait, on essaie juste d’être honnête en studio. Quand tu te dis quelque chose genre “ok faisons une track house qui tape”, le résultat sonne toujours un peu insincère. Aucune track de l’album n’a commencé avec une idée particulière, ce sont juste des choses qui se sont développées.
A : Pour illustrer ce que je disais à RBMA sur les émotions : dans n’importe quel club techno du monde, tu peux parfois rester cinq ou six heures – voir plus – à écouter le même son ou le même beat, sans ressentir aucune émotion. Il y a la musique qui tape, il se passe juste des choses très simples, et ça en devient robotique. Mais un robot ne ressent pas vraiment d’émotion, j’aimerais écouter quelque chose de plus humain parfois.
Parlons un peu de votre set-up de ce soir, à quel point était-ce improvisé?
A : Disons qu’il y avait peut-être 75% d’improvisation. C’est dur d’estimer. On joue la base de notre musique en divisant les morceaux en plusieurs parties. On a aussi un drumsampler qui nous permet d’ajouter des beats supplémentaires.
S : Et on ajoute aussi des effets, histoire que le tout colle bien ensemble. Dans le passé on a surtout fait des lives tous les deux, et peu de DJ sets à jouer la musique des autres. Cette fois-ci pendant ce tour, on voulait faire quelque chose qui serait un peu entre les deux. Et pas forcément un live où l’on embarque tout notre studio comme on avait l’habitude de le faire. On a besoin de beaucoup d’équipement pour obtenir le son que l’on fait en studio, et on finit toujours par devoir faire des compromis. Cette fois on a choisi de ne pas faire de compromis en studio et de se débrouiller ensuite pour faire sonner la musique comme elle est censée sonner dans un club. Comme ça on a pas mal de flexibilité et on peut aussi jouer avec d’autres éléments. C’est seulement notre 3ème ou 4ème représentation avec ce set-up.
A : C’est la 4ème, et la 2ème avec le drumsampler, qui fait une grosse différence je trouve.
Et comment ça s’est passé ?
A : Je pense que c’est le meilleur set qu’on ait fait jusqu’à présent, on s’améliore au fil du temps. Parce que le set a quand même un ordre, on ne joue pas tout ce qui nous vient par la tête – ce qui fait sens, je pense, si on veut que le tout soit cohérent. Pour moi, le tout se développe et se bonifie à mesure que l’on joue, parce qu’on sait comment mettre les choses dans le bon ordre.
S : La chose vraiment cool c’est qu’on peut continuer à travailler en studio sans avoir besoin de finir une track. Par exemple ce soir on s’est amusé avec quelques parties qu’on a créées la semaine dernière. C’était fun de jouer cette partie sans avoir fini la track, de se dire “ok on a une partie synthé”, d’ajouter quelques beats avec le drumsampler, et l’essayer directement dans un contexte club.
A : Ouais c’est la partie que j’ai préféré . Je crois que j’ai deux parties favorites. Non en fait trois ! En tout cas c’est de mieux en mieux au fur et à mesure que l’on joue, c’est fun.
L’Ostgut Ton Nacht était une proposition du Cabaret Aléatoire et du Laboratoire des Possibles.
Le Cabaret Aléatoire revient le vendredi 3 Février en format Club avec Oxia et le collectif Rendez-vous.