[ITW] En backstage avec… Sunil Sharpe, fer de lance de la techno irish

Sunil Sharpe

Pour le dernier club de la saison précédente, trois collectifs marseillais (Métaphore, Paradox et Extend & Play) fraternisaient sous la bannière Club Cabaret et accueillaient deux de leurs artistes favoris : Willis Anne et Sunil Sharpe. Le premier et ses machines avaient transformé le toit terrasse en une jungle house improvisée, tandis que le second avait ébloui le Cabaret par sa capacité à jongler entre les armes techno des plus contondantes.

Sachant le personnage aussi pertinent derrière les platines qu’au micro, on avait une multitude de questions à poser à Sunil l’irlandais ; sur la florissante scène de son pays, les difficultés qu’y rencontrent nos confrères professionnels de la nuit, la manière dont il documente sa passion … On l’a donc intercepté à la fin de son set. Sit and listen, c’est parti.

Comment s’est passée ta première date marseillaise ?

J’ai adoré. Les gars de Paradox et tous les gens que j’ai rencontrés sont vraiment des personnes sympas, la foule était super réactive et assez attentive à mon DJing. J’apprécie énormément quand les gens s’intéressent sincèrement à la façon dont je joue. J’aime aussi quand la foule est proche, juste devant mon visage, ça m’encourage beaucoup. Et j’ai aussi bien aimé quand une partie du public s’est mise à chanter ! Et la salle en elle-même est incroyable, le bâtiment, la disposition… Oui, c’était une très bonne première visite à Marseille !

Sunil Sharpe Cabaret Aléatoire

Est-ce que tu peux nous parler de la situation des clubs en Irlande, est-ce qu’ils sont toujours obligés de fermer à 2h30 du matin ?

Oui, c’est un problème qui est toujours d’actualité. Le gouvernement n’est pas vraiment intéressé par le sujet, il n’a pas vraiment de connaissance dessus à vrai dire. Ce n’est pas comme s’il avait commandé des études sérieuses ou engagé le dialogue avec l’industrie pour connaître ses besoins. Le gouvernement et l’industrie des clubs sont de parfaits étrangers.

On a un groupe – Give Us The Night – qui représente les gens qui travaillent dans les clubs ; les DJs, les promoteurs, les salariés et d’autres professions du milieu. Pendant nos premières années de campagne j’ai eu l’impression qu’on se battait à la place des propriétaires de clubs, qui n’osaient pas parler pour eux-même. On a donc ralenti notre activité, on milite toujours, mais ça pourrait être beaucoup plus efficace si les propriétaires s’activaient eux aussi. Le jour où ils le feront, s’ils le font, on sera là avec eux. On n’abandonnera pas, mais en l’état actuel des choses on peut seulement faire du lobbying lorsqu’il y a un nouveau programme ou une nouvelle élection. On l’a fait à chaque fois, mais ce sont des choses qui arrivent seulement tous les cinq ans …

« La situation des clubs stagne depuis tellement de temps que les journalistes n’ont plus de raisons d’en parler »

A Dublin en ce moment, on évoque la possibilité d’avoir un maire de la nuit. Ce serait génial d’en avoir un comme à Amsterdam, à Londres ou Paris, mais ces villes ont des lois sur la vente d’alcool et des horaires beaucoup plus souples. On pourrait nommer un maire de la nuit maintenant à Dublin, mais il ne pourrait pas faire grand-chose à cause de la législation qui est très stricte. Ce serait bien d’avoir quelqu’un comme ça en tout cas, qui pourrait faire l’intermédiaire entre l’industrie et le gouvernement. C’est déjà une bonne chose que les gens se mettent à en parler, la situation stagne depuis tellement de temps que les journalistes n’ont plus de raisons d’en parler. Maintenant qu’il y a une nouvelle idée, la discussion commence à s’ouvrir. Il va y avoir un changement dans la loi, c’est juste une question de temps. Pour être honnête, on attend juste qu’une certaine génération de politiciens s’éteigne.

Sunil Sharpe Cabaret

Il y a quatre ans tu disais en interview que dans le climat économique de l’époque, les clubs étaient trop chers pour la plupart des gens en Irlande. Est-ce que tu as remarqué une hausse des raves en réponse alternative aux clubs à Dublin ?

Il y en a eu pendant un moment, mais plus autant maintenant. Il y a toujours des fêtes underground mais pas à une très grande échelle. Ce que je remarque par contre c’est que des gens – qui ont apparemment de l’argent – voyagent de plus en plus pour participer à des événements ou partir en week-end en dehors d’Irlande. Les jeunes sortent toujours en club ici mais en grandissant ils commencent à questionner la scène et se disent « attends, c’est pas si incroyable en fait », et ils partent plus souvent en voyage à l’étranger.

On dirait que la scène techno irlandaise est en pleine ascension, avec de bons producteurs aux quatre coins du pays. Est-ce que tu dirais que le pays n’a jamais été autant fourni qu’aujourd’hui en terme de productions techno ? Et si c’est le cas, comment tu l’expliques ?

Je dirais que oui. Mais ce n’est pas seulement un truc Irlandais. Je pense que c’est général, la techno est extrêmement populaire en ce moment. Il y a une vraie tradition en Irlande cela dit. Quand la techno s’est calmée au milieu des années 2000, il y avait toujours une scène en Irlande.

« C’est petit l’Irlande, mais c’est un bastion de la techno » 

Plus petite, mais il y avait toujours des gens à travers le pays qui faisaient de bonnes choses. C’est petit l’Irlande, mais c’est un bastion de la techno. J’aimerais que le pays redevienne un circuit pour les DJs, j’ai l’impression que ça l’a été pendant une période. Même à côté de la techno, il y avait des DJs comme Mr Spring, Pressure, John Power, des gens qui voyageaient pour jouer dans les différents comtés d’Irlande et qui en vivaient. J’aimerais qu’on retourne dans la campagne au centre du pays. En fait, il y a déjà un très bon festival là-bas chaque année, Life Festival, mais j’aimerais que les soirées en clubs s’y développent. Et ça commence un petit peu on dirait.

Du début au milieu des années 1990, il y avait de bonnes soirées club en Irlande, avec quelques bons DJ’s. Mais c’est seulement à partir de la moitié des années 1990, avec l’apparition du label D1, que les producteurs irlandais ont commencé à être connus pour faire de la techno. Avant que les sons plus durs reviennent récemment, il y avait déjà quelques producteurs irlandais comme Chymera qui étaient là, ils ont sorti beaucoup de disques en peu de temps. C’était à la période où la minimale prenait beaucoup de place, mais il y avait aussi des disques plus deep et plus mélodiques, et Bren (Chymera) est l’un des gars qui est sorti du lot avec ce type de disques en Irlande. Je pense que son succès, et celui de Donnacha Costello juste avant lui, ont réveillé les autres producteurs à ce moment-là.

Tu as un background journalistique, tu animes un show radio et la série vidéo The Quaterly Crate – un concept assez innovant puisque tu joues des vinyles tout en les commentant. Du coup j’aimerais te demander s’il y a d’autres manières de documenter la musique ou d’autres médias que trouves inspirants ou intéressants ?

Je pense que les médias live ou interactifs comme Boiler Room ont apporté un développement sain. Ça capture un moment, c’est authentique, et ça te donne une idée d’une performance live. La série Against The Clock de Fact est un concept intéressant, bien que je n’ai vu que quelques épisodes. Resident Advisor travaille sur de nouvelles manières et de nouvelles idées de traiter la musique également.

« La couverture médiatique de la techno reste édulcorée dans les médias spécialisés »

Cependant, quand on voit à quel point la musique est populaire, je trouve que la couverture médiatique de la techno reste édulcorée dans les médias spécialisés. Il y a très peu de DJs et d’artistes qui sont francs et il n’y a pas beaucoup de points de discussion. La plupart des points de discussions proviennent de posts hâtifs en provenance de Facebook et de Twitter. En fait, je ne me rappelle même pas de la dernière interview où quelqu’un a vraiment fait parler quelqu’un d’autre. J’imagine que les gens font vraiment attention à ce qu’ils disent de nos jours, on dirait qu’il y a beaucoup à perdre en étant honnête ou en s’aventurant sur des sujets controversés.

Pour en revenir à mes vidéos, je pense que j’ai fait ça parce que je voulais présenter la musique d’une nouvelle manière. Il y a à nouveau énormément de bons disques, et comme j’en achète plus que jamais, je pensais que c’était une chance de documenter ça. Je me suis lassé du format radio standard, je trouve que c’est plus fun et plus détente de présenter de la musique de cette manière-là. Je trouve que la plupart des gens peuvent rapidement se faire une idée de la musique maintenant. Avant tu n’avais pas les clips en lignes et tu comptais vraiment sur les magazines et les journalistes pour te donner un aperçu de quelque chose. Je ne dis pas que les reviews sont inutiles, mais peut être que c’est bien d’avoir d’autres formats aussi.

sunil sharpe cabaret

En tant que DJ, comment tu te tiens au courant des dernières sorties ?

Je check les nouveautés en ligne et je vais chez le disquaire quand je suis à la maison. J’utilise aussi un peu Discogs. Il y a un shop qui s’appelle All City à Dublin, j’achète là bas. J’achète des choses dans d’autres villes aussi, j’essaye de supporter les shops autant que je peux mais j’achète sûrement de plus en plus en ligne. J’essaye de balancer au maximum. Quand je travaillais dans des record shops je regardais les shops en ligne comme l’ennemi, maintenant je les vois plutôt comme les alliés des labels dans la préservation du vinyle. On fait tous partie du même camp.

J’ai complètement arrêté de télécharger les promos digitales par contre. Peu importe la qualité de la musique, je n’en ressens pas le besoin. Quand je sais que quelque chose va sortir, je le check quand ça sort. Aussi, avec tous les nouveaux labels vinyles qui poussent, on me donne de plus en plus de promos physiques. Et j’ai la chance de connaître la plupart de mes producteurs favoris, qui me passent aussi pas mal de leurs nouveaux trucs. Par exemple ce soir j’ai joué deux disques que Jerome Hill m’a passé à Glastonburry il y a quelques semaines. Ce sont deux des plus gros disques que j’ai dans mon sac en ce moment.

Photos : AnSo Paradox
Propos recueillis par Paul Herincx

Retrouvez aussi notre interview de Jerome Hill.